Alexandre
May 23, 2023
•
5 min de lecture
1. L’expression « portage salarial » estnée en 1985 au cours d’une réunion de travail de « l’associationd’entraide pour cadres au chômage » (AVARAP)[1]. Selonun ancien dirigeant de cette association, unnom était recherché pour désigner unnouveau type de relations tripartites. Il précise que l'expression « portage salarial » -déposée en 2000 à l’Institut national de la propriété industrielle -, s’est imposée face à « ingénierie salariale » ou « salariat partenarial » en raison de sonapparente proximité avec le portage d’actions[2]. Pourtant, l’utilisation de l’expression « portage desalariés » aurait été plus appropriée dans la mesure où l’adjectif « salarial »concerne « le ou les salaires »[3]tandis que le terme « salarié » est, directement rattaché au contratde travail.
Àla même époque, le portage est exercé par deux associations[4]proches des grandes écoles[5].Initialement, ce mode d’organisation du travail apparaît comme secret, marginalet lié au monde associatif. Le principe consiste à mettre en relation desentreprises avec d’anciens élèves disponibles sur le marché du travail afin queces derniers y interviennent pour des missions ponctuelles de conseil.L’association conclut un contrat de prestation de services avec l’entreprise,embauche l’ancien élève en contrat à durée déterminée et le rétribue.
Leportage était également destiné aux « cadrestrès supérieurs ou dirigeants seniors » souhaitant maintenir unerémunération avant la liquidation de leurs droits[6].Les atteintes au droit du travail ne faisaient pas l’objet de débats tant cetteactivité était réduite en volume.
2. Leportage salarial a mis une dizaine d’années à se développer[7],provoquant la transformation des associations initiales en véritablesentreprises commerciales ainsi que la création de nouvelles sociétés en régionparisienne et en province. Ce développement s’explique par un accès facilité àla profession pour les entreprises. Pour devenir « porteur », iln’existe aucun agrément, aucune restriction, aucune autorisation. Tout chefd’entreprise a la possibilité de créer sa propre société de portage et defournir du personnel à des sociétés clientes. Différentes variétés de sociétésde portage salarial sont apparues. Pour cette raison, la pratique du portagen’est pas uniforme. Deux différences principales doivent être constatées. Lapremière tient aux conditions d’accès au portage. Selon les structures, il estréservé aux seuls cadres ou ouvert à tous types de salariés[8].La seconde a trait au fonctionnement général de l’entreprise. De nombreusessociétés pratiquent uniquement le portage de manière « comptable ».Elles ne connaissent pas le management de projet ou le conseil. Ces dernièresne rencontrent pas le salarié porté et travaillent par le biaisd’internet. Ces pratiques douteuses ne sont pas pour autant représentatives dela réalité du marché. À l’opposé, leportage salarial peut être exercé de façon plus construite avec une structurede portage réalisant un véritable travail d’accompagnement du futur salarié[9].Ces entreprises assurent la formation du porté et exercent un véritable travaild’aide et d’assistance de celui-ci dans la recherche d’une mission.
Certainesde ces sociétés se sont engagées dans une démarche active afin de dénoncer lesstructures frauduleuses et de rassembler des entreprises« militantes »[10].En 1998, le syndicat des entreprises de portage salarial (SEPS, devenu SNEPS en2004) est créé par six sociétés de portage afin que cette nouvelle professionsoit représentée et réglementée. La charte de déontologie du SNEPS énonce queles sociétés qui adhèrent au syndicat s’engagent « à établir avec les candidats un cadre de référence conventionnel,arrêtant les obligations de chacune des parties préalablement à l'établissementeffectif des contrats commerciaux et de travail et les conditions régissantleurs relations ».
[1] A. Proenza,« Des appellations elliptiques » in Le Monde économie, 6 mars 2001, p. 9. Selon certainsauteurs (P.-M. Menger, P. Costa, D. Hanet et C. Marchika, Travailler parmission : qui et comment ? Le cas du portage : Dr. soc. 2007, p.46), l’initiative provient d’un ingénieur centralien créateur de la société« Valor » (initialement organisée sous la forme d’une association).
[2]A. Proenza, préc.
[3]G. Cornu, Vocabulaire juridique, PUF, 9ème éd., 2011, V° Salarial.
[4]Dénommées « Valor » et« Intervenance », ces associations ont été, dès 1986, transformées enSARL.
[5]M. AT, Le portage salarial, Zoom sur un statut en phase deréglementation : Semaine sociale Lamy 2005, n° 1223, p. 7 :l’auteur évoque un ingénieur « centralien ».
[6]C. Lenoir et F. Schechter, L’avenir et les voies de régulation du portagesalarial : Rapport définitif, IGAS 2011, p. 9.
[7] Ce mode d’organisation dutravail a connu un essor au milieu des années 1990. En 1996, l’association pourl’emploi des cadres (APEC) rédige un article sur ce type d’organisation dutravail dans sa revue ; en 1997, la délégationinterministérielle à la lutte contre le travail illégal (DILTI) consacre unepremière note d’analyse à l’activité des sociétés de portage ; en 1998, ladirection des relations de travail du Ministère de l’Emploi produit une premièrenote sur le thème du portage.
[8] Le groupe de recherche pourl'éducation et la prospective (GREP) distingue trois types de « philosophies fondatrices »d’entreprises de portage. En premier lieu la « volonté d'insertion », le portage constituant un outil parmid'autres pour favoriser le retour à l'emploi ou la création d'activités. Ensecond lieu : l'auto-organisation de personnes au chômage. En troisième lieu :« saisir une opportunitécommerciale » dans laquelle le portage est « un produit » et les cadres sans emploi « un marché » (C. Argentier, B.Biche, T. Blang, A. Desbois et J. Le Monnier, Le portage salarial : Étude du GREP réalisée pour leMinistère de l’Emploi et de la Solidarité, 2001). Mais, « les deux logiques - commerciale et d’emploi- cohabitent souvent » (M. Del Sol, A. Moysan-Louazel, P. Turquet,L’intermédiation dans les relations d’emploi au travers des exemples du portagesalarial et de l’intérim hautement qualifié - Regards croisés en économie dutravail et en droit social : Rapport DARES, 2005, p. 48).
[9]Le groupe ITG met en place des réunions d’information concernant le portagesalarial, des journées de formation et propose des entretiens individuels afinde développer l’activité du futur salarié autonome.
[10]Le terme « militant » renvoie aux entreprises qui considèrent leportage salarial comme une pratique exclusivement réservée aux cadres.